Nous sommes à l’hôpital, je suis à 37 SA. On nous fait patienter et m’appelle ensuite pour les examens habituels. Nous rentrons dans une 1ère salle, la sage-femme m’installe pour une écho, et commence son examen. Mais nous dit que nous changeons de salle car le moniteur ne doit pas fonctionner. Nous entrons dans une autre salle, elle me place les capteurs sur le ventre, elle cherche le cœur de bébé. Et moi je ne comprends rien, trop centrée sur ma gestion de la douleur. Nous passons de 1 sage-femme à 2 sage-femmes… Nous changeons encore de salle, et elles décident d’appeler le médecin. J’aurais dû comprendre, mais…
Et l’annonce ne se fait attendre : « Madame, nous ne captons pas le cœur du bébé, il n’y a aucune activité cardiaque. Je suis désolée, le bébé est mort. » J’ai mal, je hurle, le cœur ne repart pas… Mon petit bout de bonheur s’envole. On nous dit qu’il s’agit d’un HRP – hématome rétro-placentaire – qui s’est produit suite à un pic de tension. On nous explique que cela arrive en quelques fractions de secondes et que de toute manière, nous n’aurions rien pu faire. Que nous ne sommes pas responsables, que cela arrive même à des femmes n’ayant pas d’antécédent d’hypertension. Tout s’écroule autour de moi, mais je dois continuer à endurer cette douleur physique. Je ne pouvais pas avoir la péridurale tout de suite, car j’avais fait mon injection d’anti-coagulant trop tard dans la matinée. Mais les douleurs se mélangeaient, finalement la péridurale est praticable.
« Une magnifique petite fille, Sakura »
J’accouche d’une magnifique petite fille. Elle avait les yeux fermés, je la tenais dans mes bras et la regardais dormir paisiblement. Son petit corps tout chaud contre le mien. J’ai espéré qu’elle ouvre les yeux, mais ça n’est jamais arrivé. Nous l’avons appelé Sakura. C’est l’appellation de la fleur de cerisier au Japon, et Sakura signifie beauté éphémère. Un prénom approprié à la situation. Les suites de couches ont été difficiles, je suis restée une journée entière en salle de réveil, avec un pic de tension important et une hémorragie. L’équipe laissait entrer Frédéric lorsque j’étais réveillée... Arrivée dans ma chambre, complication à nouveau avec un œdème pulmonaire : ça ne s’arrête pas.
A ce moment, je ne veux plus d’autres enfants, je me déteste ! Qu’est-ce que je n’ai pas fait correctement ? Pourquoi ? Pourquoi ma petite fille ? C’est de ma faute, c’est de ma faute... Quelques jours plus tard, le médecin nous donne un scénario que nous n’avions pas envisagé, afin que nous comprenions (surtout moi) que nous n’étions pas coupable : « A cause des pics de tension on vous hospitalise, on vient vous ausculter et 2 minutes plus tard, vous vous plaignez de contractions et c’est déjà trop tard. On ne peut pas vous descendre au bloc pour une césarienne et donc on ne peut sortir le bébé. »"
Voilà, ce n’est pas de ma faute... Ce n’est pas de ma faute !
- Frédéric : "L’avant : Contrairement à notre première grossesse, celle-ci a été annoncée comme « normale », à tel point que les constantes nous ont permi d’interrompre le traitement hypertensif au 3e mois. La fin de grossesse : J’ai eu la chance et la malchance d’accompagner Audrey dans ses 3 derniers mois de grossesse. Oui, malgré mon grand âge, j’ai participé à un match de basket dont le côté amical s’est interrompu avec mon tendon d’Achille droit. Nous étions donc 2 diminués à la maison avec un petit garçon de 2 ans. Le drame survient le jour ou je retire mon plâtre. Non content de ça, nous avions entrepris de faire des travaux qui, avec le retard, tombaient au milieu de l’accouchement. L’accouchement : La notion de douleur est toujours abstraite pour le conjoint mais connaissant sa capacité à endurer au mal, je trouvais la douleur extrêmement violente. La prise en charge se fait normalement jusqu’à ce que plusieurs appareils différents n’indiquent plus aucun rythme cardiaque. Je l’ai compris avant Audrey qui sous la douleur maintenait un niveau d’espoir. L’annonce : Naturellement, je me suis dit qu’il allait falloir maintenant être fort et présent plus encore que d’habitude. Puis arrive l’annonce qui vous montre que vous êtes aussi dans un état second. « Il va falloir accouché par voix basse. » A partir de là, je ne vois pas ce qui pourrait être pire. Je ne trouve pas le courage en passant devant la salle d’attente de prévenir mon beau-frère qui est resté dans la joie de l’événement. S’en suis une attente interminable de la péridurale avec la force des contractions encore plus douloureuses depuis l’annonce de la perte. Nous avons été pris en charge assez rapidement. Le personnel qui s’occupe de nous est très bien briefé. Le moins de monde possible. Un accouchement plus simple que le précédent et assez rapide. Nous oscillons entre des moments de fatigue simulant l’apaisement et une tristesse, le manque de l’enfant attendu. Je profite de l’effet de la péridurale pour prévenir mon beau-frère. Je reste un moment avec lui mais dans l’inquiétude de l’état d’Audrey de l’autre côté. Sakura apparait, magnifique, pas du tout fripée ; je suis dans l’incapacité de la toucher malgré sa beauté. Je m’en veux mais cela restera impossible.
« Un fort sentiment de culpabilité »
Nous sommes dans l’incapacité de prendre une photo. J’ai déjà en tête qu’il faut prévenir toute la famille de notre désespoir. On s’en veut, moi qui avait plutôt bien vécu mon accident de tendon, je me dis que j’aurais été plus à l’écoute sur mes deux jambes. Peut-être que les travaux étaient de trop. Les visites d’entrepreneurs. A ce moment, j’ai subi un fort sentiment de culpabilité. Il a fallu attendre le jour de l’incinération pour que je verse des larmes, tout le reste du temps j’étais dans la gestion de tous et toutes. La rapidité, la fatalité je sais qu’Audrey et moi nous avons la même façon de voir la mort. Pour nous elle fait parti de la vie. Je ne sais pourquoi mais je savais qu’il n’y aurait pas eu de dépression. On a posé sur notre entourage un voile gris pendant un an avec un SMS d’annonce à tout notre entourage. Il fallait que tous le sachent en même temps au plus vite et respectent notre désir de « non communication ». La catastrophe : Le surlendemain, Audrey a eu des complications (difficultés respiratoires). J’ai arrêté de rentrer jusqu’à ce qu’elle sorte de l’hôpital. Encore un besoin de présence très fort et puis le devoir d’informer ses parents puisque finalement, je suis le seul à avoir le droit de rester là. Une prise d’otage consentante. L’effet surprise : Le jour même, le médecin accoucheur me l’avait laissé entendre et au fur et à mesure chaque docteur consulté communiquait avec nous, comme avec de futurs parents. « Donc quand vous reviendrez... Lorsque madame sera enceinte ! » J’ai compris que 95 % des femmes ne pouvaient accepter de rester sur un échec de cet ampleur. La psy : Nous sommes allés voir la psy de l’hôpital. Audrey et moi nous n’en avions pas vraiment besoin. Nous avons agi comme il fallait, pour Oren et pour nous, dans le calme. Les funérailles : Le plus dur à gérer, c’est la gestion des obsèques. Ce qui paraitraît simple en temps normal est extrêmement compliqué parce qu’on ne se sent pas prêt pour ça. Et puis il faut le faire et là aussi pas de discorde sur les choix, les volontés et discours. Nous avons appréhendé calmement ce passage et la manière d’y inclure Oren. Du coup, nous étions plus tournés vers le départ de notre fille que par les à-côtés. La question : Nous avons donc dû en reparler. J’ai posé mon ultimatum : un état psychologique et physique stable et optimal pour la grossesse. Dans l’esprit d’Audrey, ça ne faisait aucun doute, il y aurait rapidement une nouvelle grossesse. J’ai vite compris sa motivation puisqu’elle a été capable de retrouver un poids de forme sans que ce soit une contrainte forte et que malgré le manque et les crises d’angoisses répétitives, elle restait la même. Je pense que notre couple aurait été en danger sans un nouvel enfant.
Aujourd'hui, Doan a 2 mois. La grossesse et l’accouchement se sont bien passés. Le manque est toujours aussi présent. Pour nous, le nouvel enfant n’a pas remplacé Sakura. Nous sommes ravis d’accueillir Doan indépendamment du manque de Sakura qui diminue mais ne disparaît pas."
Papa Online : Doan a aujourd'hui 2 mois donc. Comment s'est passée la grossesse ? Sa naissance ?
- Audrey : Une grossesse émotionnellement calme. Car je suis une grande nerveuse, du coup tout le monde s’est accordé pour ne pas me contrarier. Et à mes côtés, Oren et Frédéric éternellement aux petits soins. Ainsi que toute la famille que l’on a prévenu une fois les 4 mois de grossesse atteint ! J'étais à la fois... Anxieuse d’attendre ce bébé et du terme de l’accouchement (normalement 39, mais forcément 36), et soucieuse de son sexe. Frustrée, car je n’ai pu participer aux gros travaux de la maison (ça aurait au moins eu le mérite de m’occuper les mains). Bien accompagnée par l’équipe médicale de la Pitié Salpétrière et par Sylvie, sage-femme libérale. Impatiente de serrer tout contre moi "ce" bébé. C’était l’accouchement que j’attendais depuis la première fois, même si c’était mal parti. Doan est arrivé à 36 SA !
- Frédéric : "Un accouchement long puisque déclenché mais pas plus que pour le 1er ; donc bien vécu. Nous avons connu un après accouchement normal, le peau à peau, la quiétude sans docteur pendant à peu prêt 1h30. Peu de temps après, nous étions tous dans la chambre et Oren connaissait son petit frère. Je comprends mieux qu’avec des grossesses comme cette dernière, les gens y retourne facilement !"
Papa Online : Pourquoi avoir rallier la Marche des Bébés et le combat mené par la Fondation PremUp, contre la prématurité et les grossesses à risque ?
- Audrey et Frédéric : "Nous avons vécu 3 grossesses : 3 grossesses pleine d’angoisse, de questions, de doute, de peine, mais de joie aussi. Il a été évident lorsque l’on a entendu parler de la Marche des Bébés de pouvoir apporter notre contribution. Afin que personne ne connaisse ce que nous avons vécu, le coup de tonnerre dans un ciel serein…"
Papa Online : Que représentent pour vous la recherche orchestrée par PremUp en termes de prématurité et grossesses à risque ? Quel est pour vous son degré d'importance ?
- Audrey et Frédéric : "Il est important que les futurs parents soient accompagnés au mieux dans la conception de leur projet de vie, qu’ils sachent que maintenant il existe, grâce à la recherche, des moyens pour leur permettre d’avoir une grossesse « normale » ou tout du moins plus sereine. De savoir que si nos petits fripons décident de pointer le bout de leur nez plus tôt, ils peuvent continuer leur croissance jusqu’au moment de les ramener à la maison. Que tout est mis en œuvre pour leur apporter tout le bien-être possible. D’avoir les traitements nécessaires et les bons protocoles pour les grossesses à risque. D’avoir les bons gestes, le bon matériel, les bonnes formations pour le personnel médical et les structures qui permettent d’accueillir les prématurés. D’avoir les moyens financiers suffisants pour que tous nos bébés puissent avoir les traitements nécessaires à leur développement extra-utérin. Cette Fondation est importante, ses projets sont importants. Nous ne pouvions pas faire autrement que de nous investir à notre tour."
Papa Online : Un message à passer aux (futures) mamans et (futurs) papas sur ces questions ?
- Audrey et Frédéric : "Vous trouverez toujours une équipe médicale prête à vous accompagner dans votre projet. Une association pour vous soutenir, une main tendue pour vous aider à vous relever. Malgré les risques que cela comportent, multiplier son bonheur et son amour vaut la peine que l’on se batte ! Nous avons multiplié notre bonheur par 3 fois... Alors, sauf avis contraire, n’hésitez plus !"
Et un GRAND MERCI à Audrey et Frédéric pour leur témoignage. Rendez-vous dimanche à la Marche des Bébés, tous ensemble !!!